Clément Chatain fait partie de cette catégorie d’hommes en voie de disparition, tant ses qualités se lisent au tout premier abord. Très éloigné des personnalités charmeuses par intérêt, il passe sa vie à ouvrir son cœur. On entend Servez-vous, d’entrée de jeu. L’homme met son immense empathie à la lumière, malgré lui. Il en est de même pour cette diligence incroyable qui le définit bien et le rend inédit. Homme loyal et bon, c’est avant tout dans la littérature qu’il est « lui ». Il défend avec des arguments passionnés et sensés toute injustice. Il nous porte haut, on aimerait tout lui donner. Il sait écraser d’un pied sec ce qui ne tourne pas rond. Il verbalise ses joies, ses doutes, mais pas avant d’avoir pris connaissance de notre bulletin de santé.
J’ai eu la chance de recevoir Clément ce mois d’avril. Je vous présente une personnalité rare…
MP: bonjour Clément. On te sait une solide réputation d’homme passionné de littérature. Séduit autant par les mots que par la personnalité des auteurs, tu t’es approprié avec grâce et élégance une partie du métier. On t’en sait tous gré, tu as rendu hommage au travail de nombreux artistes. Comment passe-t-on de comptable de métier à éditeur en devenir ? (nombre d’écrivains prétendent que tu as tous les atouts pour « mesurer » un talent et l’envergure d’un livre).
CC: je crois qu’on ne passe pas de comptable à chroniqueur littéraire. Ma passion pour la littérature remonte à une quinzaine d’années, maintenant. Je me rappelle à l’âge de douze ans avoir commencé à écrire une petite pièce de théâtre.
Le milieu des chiffres semble bien éloigné, mais j’ai toujours tenté de mettre une dose de littérature dans mes études comptables et j’ai volontairement suivi une voie universitaire afin d’avoir une vision toujours plus généraliste. Je me suis présenté d’ailleurs à des entretiens comme étant un « comptable littéraire ».
Je ne réalise des chroniques que lorsque le livre a retenu mon attention. Mon but n’est pas de descendre un auteur. J’ai une source d’indépendance grande parce qu’il est très rare que les services de presse m’envoient leurs ouvrages et, même si c’est le cas, je ne me sens nullement obligé de faire une chronique. Ensuite, que les auteurs ayant l’amabilité de me lire actuellement ne hurlent pas seuls chez eux. J’ai peut-être leur livre et je n’ai pas encore réalisé de chroniques pour la bonne et simple raison qu’il est placé dans une pile qui ne cesse de croître…Je ne suis aucun ordre, j’écoute mes envies et mes idées et je peux parfois arrêter de lire pendant des mois. Je suis également parfois sollicité par des auteurs qui ont la gentillesse de me demander mon avis sur leurs écrits. Je tente objectivement et modestement de leur répondre.
MP: dans tes projets, nourris-tu l’espoir de fonder ta propre maison d’édition ? Tu as les capacités d’ordre logistique ET l’amour des mots choisis.
CC: la question de la création d’une maison d’édition me hante, et j’y réfléchis souvent et longuement. C’est un milieu particulièrement difficile d’accès avec des faux littéraires omniprésents. C’est aussi un investissement financier qui nécessite d’être bien étudié. Si créer une maison d’édition revient à dire, « je ne peux pas vous éditer et je n’ai pas le temps pour lire vos manuscrits », autant ne rien faire.
Le rôle d’agent se développe également beaucoup et ce statut présente bien des avantages. Certains m’appellent déjà « leur agent » alors que je fais bien peu pour eux, mais ce rôle d’intermédiaire qui se développe de plus en plus m’attire également même si ce dernier me pose quelques soucis malgré tout...
MP: nous nous sommes rencontrés sur ce grand réseau social qu’est Facebook. J’ai le souvenir de premiers rapports courtois, bienveillants, d’un très haut respect des écrivains. J’en avais été très touchée. Où en est le projet « Les rencontres facebookiennes »?
CC: le projet des rencontres facebookiennes a été lancé en février 2010. Il a été jalonné d’anxiété, de joie et de passion. Ce travail n’aurait jamais pu être réalisé sans le comité de lecture, les auteurs participants mais également sans quelqu’un qui doit sortir de l’ombre pour son amour de la littérature et son talent, Carole THIAUDIERE, correctrice professionnelle. Son amitié et son soutien sont deux éléments essentiels dans l’achèvement de ce projet collectif. Le manuscrit a été envoyé à cinq maisons d’édition uniquement à compte d’éditeur. Je suis donc dans l’attente des réponses.
MP: avec Laure Mezarigue, tu formes un duo amical, affectif et professionnel de choc. Votre fusion m’épate et l’énergie qui en découle est très fédératrice. L’union fait-elle systématiquement la force, ou as-tu trouvé en cette jeune femme la partenaire littéraire idéale pour mener à bien le projet CHICHE ?
Faire un clic sur la toile de Véronique Latil-Lévy, artiste-peintre, pour découvrir CHICHE
CC: l'union ne fait pas forcément la force et elle peut même être dévastatrice, Martine, comme le montrent tant d’échecs humains, politiques ou institutionnels.
Si CHICHE fonctionne vraiment bien c’est, je pense, en grande partie parce que notre union fait la force de par notre complémentarité dans les différents aspects de ce vaste projet. Nous nous respectons, nous nous apprécions et nous nous écoutons. Ce sont peut-être les trois piliers des raisons pour lesquelles CHICHE se développe et crée des partenariats. Chacun est à l’écoute de l’autre et nous suivons nos projets respectifs. La signature collective pour toute communication concernant CHICHE est également un signal fort. Nous avons aussi un superbe comité de lecture qui réalise au quotidien un travail exceptionnel. J’en profite pour les remercier.
Dessin de Philippe-Leroy Beaulieu (une de ses nombreuses oeuvres, en cadeau au projet)
MP: la lecture des pages des auteurs t’est-elle suffisante ? N’as-tu pas envie, toi aussi, de te dévoiler en rédigeant ?
CC: je tente d’écrire. J’ai trois romans en cours et un recueil de poésie mais je suis un éternel insatisfait et un spécialiste de l’ouvrage inachevé. Je me lance parfois dans des écrits avec un canevas longuement réfléchi dans mon esprit. Je vais réussir à écrire une dizaine de pages et puis je vais abandonner, pris dans une tourmente personnelle ou parce que je vais m’engager dans d’autres projets. Je travaille actuellement sur un roman original auquel je compte mettre un point final. Je suis néanmoins habité par le doute et je peux sombrer dans des passages à vide effroyables.
MP: tu penses essentiellement au confort, à la liberté de l’Autre. Tu valorises ce que tu aimes, en brandissant un drapeau à nos couleurs. Personnellement, je trouve que tu as toutes les qualités pour mener à bien tes deux projets en cours. Envisages-tu ta vie sans la littérature ?
CC: la vie sans la littérature... J’y pense parfois face à ce milieu détestable. L’attitude de la petite édition ou de la grande semble parfois tellement éloignée de mes idéaux littéraires basés sur un amour des mots et une passion démesurée que je réfléchis à baisser les bras. Je peux passer des journées entières à me répéter, « c’est trop tard, le mal est fait »
Puis, il y a les initiatives et le talent de Marie BARRILLON, le projet CHICHE avec Laure MEZARIGUE, les mails de Camille DE PERETTI qui a la gentillesse de me faire confiance à travers une partie de sa communication, Pierre CHALMIN qui m’impressionne par ses connaissances et son talent comme Carole THIAUDIERE, d’ailleurs, par son dévouement à la littérature. La liste est trop longue et je regrette déjà de ne pas avoir cité Marie Laure BIGAND et Victoire LECOMTE. Il y a bien entendu toi, Martine, avec ta plume talentueuse et spontanée.
Comme je le dis souvent à Marie, il faut une passion immense pour persévérer dans ce milieu et faire rayonner une certaine idée de la littérature.
MP: j’ai eu l’occasion inespérée de te rencontrer #IRL il y a peu. J’ai eu, je te l’avoue, la sensation d’un « déjà vu », l’impression de te connaître déjà. Je pense que nos échanges sur FB auront été assez complets pour qu’on ne s’interroge pas. Nous sommes une preuve, Laure, toi, moi, que l’union bien menée, dans l’empathie est constructrice. Es-tu d’accord avec mon idée ?
CC: oui, ta question rejoint la précédente sur CHICHE. Une bonne équipe est le gage de la bonne réalisation d’un projet. A l’heure d’une société de plus en plus complexe, tu peux de moins en moins gérer seul l’ensemble des aspects. Le fameux, 1+1 = 3, effet de synergie, doit être au rendez vous pour tenter d’atteindre une part de satisfaction dans ce que l’on réalise. Avec Laure, dans le cadre de CHICHE ou Marie, dans le cadre de la revue 100%Auteurs, j’ai l’impression d’être dans le 1+1 = 10 tant elles sont sources d’énergie et d’idées. Sans elles, les projets n’existent pas et la littérature se meurt.
MP: je t’observe réagir devant l’injustice. Nous notons tous que les propos qui « tiennent tête » dérangent. Moi-même, quand je sens que j’ai raison, je défends la veuve. Te couches-tu rassuré quand tu as rétabli la vérité sur des murs infectes, assuré de l’intention et de la personnalité des personnes que tu défends ?
CC: je ne peux rester silencieux face aux destructions littéraires et aux faux amis de la littérature. Editeurs plus intéressés à parler de la pluie et du beau temps que de leurs auteurs, auteurs se prenant pour Proust sans sûrement jamais avoir lu l’écrivain ou bien bloggeur pensant que la littérature se résume à Marc LEVY sont mes cibles de prédilection au nom d’une certaine idée littéraire.
Je ne peux laisser passer des mots ou des actes qui me semblent conduire aux irrespects des auteurs et qui s’apparentent à un profond désamour littéraire. Ce donquichottisme peut me mettre dans des états d’énervement et d’excitation tels que je n’en dors pas et je peux avoir les mains qui commencent à trembler. Je ne me couche jamais l’esprit tranquille tant que des personnes de ce style poursuivent dans le milieu.
Je médite cette phrase de Kafka sans cesse, « « Je ne suis rien d'autre que littérature, je ne peux et ne veux pas être autre chose. »
MP: je t’envisage comme mon futur éditeur. As-tu une idée de ligne éditoriale favorite, si tu concrétises ton rêve ?
CC: je suis touché que tu penses déjà à moi comme éditeur. Des personnes talentueuses et entières comme toi me donnent l’envie justement de devenir éditeur pour les représenter au mieux, avec une ligne basée sur la confiance, le respect et l’amour des mots.
Ma ligne éditoriale serait autour du style des livres que je chronique, soient les romans et la poésie. J’aime beaucoup également les essais et documents mais il faudrait des thèmes qui me passionnent. On ne peut non plus, à mon avis, faire du bon travail en étant trop polyvalent.
MP: tu es un ami cher et une personne de goût, pertinente, avec les pieds sur terre. Tes amis peuvent être fiers de toi. Un petit mot à leur attention?
CC: merci de me supporter.
MP: merci mille fois, Clément. Il y a une définition du dictionnaire qui me séduit beaucoup. « Supporter ». Ce verbe est à double sens. C’est nous qui t’admirons, t‘encourageons et tentons d’imiter tes belles valeurs…
Retrouvez Clément sur le site: http://www.wobook.com/WBSe2Ul6j84k/La-revue-100-Numero8-sept-2011.html (La revue 100% Auteurs)
Les commentaires récents