Il est des mots qu’on tait, d’autres dont on se nourrit. Il y a ceux qui font mal, ceux que l’on reçoit, et on serait bien tenté de les renvoyer en plein cœur de cible, à l’expéditeur, tant c’était douloureux. On se tait alors et, forcément, on en souffre encore, pour la peine. Parfois, c’est mieux de cracher dans la rigole, on se soulage, on pleure par terre. On se dit qu’être indifférent, c’est être méprisant. Faut voir.
Certains vivent plusieurs vies, des tas de maux, ravalent des phrases entières qu’ils auraient bien balancées aux infos, parce qu’il y a toujours ce point de côté qui les fait pleurer, le point névralgique, qui hurle quand on le frôle : on n’est jamais vraiment guéri des douleurs soignées, on appelle ça les cicatrices au journal parlé. Des fois, c’est mal suturé. Alors on chante on chante, on sue de toute son eau. On crie au dedans comme sur les sillons qui ont gravé nos destins, comme chacun d’eux a été signé par de grandes maisons, on est le plus fort, le plus vaillant, fatalement. On le prouvera, encore et encore avec nos belles femmes et nos enfants heureux. On passera le bon message à nos petits-enfants.
On est blond, et riche d’une
paire d’yeux bleus. Beaucoup y plongeront, dans cet océan, qu’on ramassera au
fond, dégoulinants, méchants, et ils pensaient savoir Johnny. Erreur, ils avaient
juste touché le fond, du sable plein la bouche, chargée de mauvais plancton. Requins, comme noms, ça aurait
« sonné pas mal »…
On peut naître réservé et en imposer, plus tard, dans des salles si gigantesques qu’on serait bien en mal de prendre sa place, sur cette scène tout aussi démente, à tenter de monter sur des croches qui relèvent de l’exploit. On note aussi la forme olympique exigée pour grimper dans le cœur de tous ces gens, venus des provinces, applaudir une manière de héros. Sosie de Johnny, c'est quasiment un métier répertorié. Jean-Philippe Smet, lui aussi, a ses copies, tout aussi adulées…Vous êtes combien, là-dedans ? Facilement deux, de tête, voire une centaine dans les régions ; c’est effrayant…
On est assez à l’aise pour draguer, suffit de camoufler le rouge des joues. Pas une mince affaire, encore…Elles n’auront qu’à traduire les silences et leur poids, question d’émotions. Il y en a un paquet, des prénoms de filles à revendre, assez pour les premières mamans en mal d’inspiration. Ça rend vert, hein, les canons ?
On se dit que quand on a dépassé la nostalgie et les chanteurs à minettes, qu’on ne veut du mal à personne, qu’on a juste encore en tête une vie entière de mépris ou d’envies, doublée de jalousies, qu’on aime d’amour son public et qu’on y laisserait sa peau, une fois encore, juste pour voir le visage de l’amour en retour, on pourrait bien mourir. On a tenté le coup, dans de bonnes proportions. On est revenu vivant, et par un prompt renfort, on mord encore dans la vie. Des questions ?
On n’a pas de solutions musclées quant au climat, tout comme on n’en trouvera jamais pour les odieux. Ce qu’il sait : c’est ce voyage que vous n’aurez jamais fait, cette femme qui ne sera jamais vôtre, les enfants que jamais vous ne porterez. Il sait aussi l’empathie et les bonnes choses. On appelle ça l’intelligence.
Amanda Sthers a réussi ce défi incroyable : il en fallait du cœur et de la technique pour enfiler les costumes du chanteur et saisir à deux mains son micro. Ses mots à elle sont bien mariés avec ceux de Johnny, c’est confondant. On joue un peu ? Je vous mets au défi de distinguer sa façon de rédiger de celle dont Johnny aura pu user. L’écriture est harmonieuse, chaleureuse, généreuse. Ces deux-là m’ont donné de la joie.
Je lis en quatrième de couv : "Ceci est un événement".
Oui, il l’est pour moi parce qu’il m’a offert du sourire et
que j’étais un peu pauvre sur ce sujet-là, depuis un temps. Il l’est aussi parce qu’on retrouve
dans ces regards l’espoir qu’on aurait bien pu planter là, lassé comme IL aurait pu l’être, à chaque coin de tournée.
Il est un événement, parce que c’est écrit, alors j’y crois. Oui, parce que cet
ouvrage m’a redonné la foi. Rien que ça, me direz-vous. Oui, moi aussi, je vous le dirai. Dans les yeux.
Martine Pagès
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