J’ai rêvé Depardieu
J’ai rêvé Depardieu parce qu’il est un homme. Oh, pas de ceux, hâbleurs éreintés, qui chassent la gueuse, traqueurs de cuisses de poulettes de cours. Je l’ai rêvé parce qu’il me faisait une cour si douce que ses muscles bandés hantaient mes nuits pour de vrai. On jouait à Je serais bien dans tes rêves et il était si fort, le gaillard, le vaillant, qu’il pénétrait mes songes. Je l’ai rêvé souvent. Il atteignait des pics, et de ces péninsules, vous n’auriez pas tenté de vous mesurer à lui. Vous étiez si petits.
Tout ce qui est petit est mignon, et Depardieu le colosse semblait savoir traiter une mouche avec la même délicatesse que celle dont on s’oblige à user, avec un enfant. Lui, il vous dirait qu’on ne s’oblige pas, on est plus petit qu’un gosse quand on sait qu’on lui doit respect et diligence.
J’ai lu la bonne chère, le gras, les fesses, dans cette presse que vous-mêmes nourrissez. J’ai lu alcool , sexe et débauches et C’est bien fait. J'ai lu les mots qui fâchent et les insultes qui fusent, et "Tiens, prends-toi ça encore dans la face, salaud de riche qu’on a élevé au grain". "Sans nous, t’étais rien"…
Sans lui, mon cinéma n’aurait pas eu le même visage. J’étais « La femme d’â côté » et quelques dames d’époque, la jolie Deneuve et toutes les autres belles, je les mettais dans ma poche et mon cher partenaire de toilette, qui sentait la poudre de Caron à force de séjours dans mes sacs, sortait sa tête un temps, celui qu’il fallait pour me dire « Avance, beauté, t’es pas dans les temps ».
J’avais toujours un train de retard. Celui dans lequel il faut monter de peur de rater le coche et les étoiles. Puis j'ai enfin touché la lune du doigt et ai laissé sur le pavé les poules et les pouffes, encore rivées à la fusée, atterrées à l’idée que leur brushing puisse perdre la face. De mèche avec les airs qui me portaient, je visais des terres qui ne salissaient pas. J’étais tant à mon aise, assise près de cette rose qu’il aurait bien honorée, se fichant de sa coiffure à l’aube et déclinant sa prose, pissant probablement sur un réverbère qu’on aurait consigné. Pour en faire une preuve.
Parce que l’ère atroce est à l’horreur et que l’on ne peut bouger un petit doigt sans visa, parce que la haine est en vogue quand on parle d’un homme qui gagne tant d’argent que, ma foi, pourquoi se plaindre parce qu’il n’est pas sans le sou, et que tout est là, je vous parle d’un homme qui a rédigé de sa plus belle plume une lettre élégante, si claire qu’on y aurait bien fait un saut de l’ange, tant c’était fluide et limpide. Il disait J’ai payé tant, mais moi je savais bien qu’on l’avait volé tant, parce que si tout travail mérite salaire, on ne dit rien sur les deniers qui repartent vers d’autres comptes, ceux qu’on remplit sans le savoir pour des rôles discutables. Je n’ai jamais eu écho d’un prix décerné aux impôts…Je n’ai eu vent que de celui qu’on doit quand on est un peu trop large en cadeaux, quand on habite une maison qui rend des visages pâles, et j’en connais qui sont devenus verts devant les dimensions…Eh oui, on parle bien de calculs, de surfaces. Mais Depardieu ne compte pas comme vous autres ; il aura mis son mouchoir sur la sécurité sociale et se sera assis sur le document qui aurait servi de sortie de territoire. Joli paradoxe ! Trop pressé, trop de travail, trop d’amour à donner, pas le temps, vous comprenez hi hi, vous ne comprenez pas, goûtez mes Anjous, pétez en chœur, je joue un gentilhomme demain.
Faites-en autant, que je vous applaudisse. Si je veux! Parce que vos rimes sonnent faux, que vos timbres de voix me font mal au ventre et que vous chantez des rengaines assassines. Ah le petit vin blanc vient de quitter nos terres. Vous avez fait de l’homme un danger d’adultère et un vulgaire pilier de bar. Aménager à quelques mètres de la frontière, c’était insolent pour vous, c’était méchant, parce que quand on tient la barre, on s’oriente plein sud, dans les îles sous le vent. Auriez-vous préféré un paradis envié ? Vous seriez bien en mal de répondre; ces quelques pas si proches des nôtres vous laissent perplexes ! Mais s’il n’est pas en route pour les Caraïbes, c’est justement pour veiller au grain, aux tons nuancés de ses raisins, ceux qui couleront sur nos tables!
Il est question de ne pas larguer les amarres parce que quelques sociétés en son nom font partie de cette France qui le décourage. Il dit que d’autres gens « plus illustres » que lui sont partis. Moi je dis que le tintamarre est à venir, alors, parce que, que je sache, aucune manifestation de rue n’a eu lieu, juste après leur passage à la douane.
Je dis que l’homme est beau, que sa bonne chair est tendre, que j’y mettrais mon front, ma confiance et ma vie. Je dis que sans lui, le cinéma n’aurait pas cet accent, ni ce profil.
Chateaubriand aurait probablement tenté de nous diviser: "Qui est le vulgaire? Qui est l'assassin?"
Je dis que s’il nous quitte, c’est pour mieux nous rester.
Martine Pagès, 22 décembre 2012
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