Bonjour Séverine,
Je t’ai rencontrée il y a une dizaine de jours sur un fil de discussion, sur Facebook. Je trouve que l’idée de s’être connues sur un « fil » est pour le moins caractéristique ;) Tu étais en détresse, sur ma page « Le refuge (troubles alimentaires) ». Comment te sens-tu, depuis ? J’ai lu que ton médecin avançait de nouvelles infos sur ton état de santé…
Mon état ne fait que chuter; tant et tant que lors de mon dernier rendez-vous mon docteur ne voulait pas me laisser rentrer chez moi; mais ma maman et moi l'avons supplié de me laisser en sursis pour les fêtes de fin d'année .
C'est tellement paradoxal, comme il me dit "critique"; mais moi je me sens vraiment bien, j'ai la "pêche" et je ne suis absolument pas fatiguée.
Ce jour-là, tu te proposais d’apporter ton témoignage, tu voulais aider les autres, atteints de ton mal. L’anorexie est un sujet que tu maîtrises si bien que tout semble s’articuler autour de lui. On ne t’a pas « entendue ». Deux ou trois membres ont préféré te tendre la main. Ils ont jeté un œil à ta photo de profil, sans écouter tes mots et t’ont sentie en danger. Tu as eu très mal. Encore quelque chose qui ne tournait pas rond…Depuis, tu as trouvé une personne avec qui correspondre. Tu as persévéré, et ça a fonctionné : le dialogue est ouvert. La vision de ta maladie est-elle différente quand tu te confies ?
Disons que je pensais trouver plus de tolérence de la part de personnes qui de par leur propre vécu trouveraient écho dans mon témoignage, et non un jugement physique. Après, il est clair que mon but premier était le dialogue et certaines personnes ne me donnent pas cette liberté.
Depuis quel âge es-tu rongée par ce mal ? Te souviens-tu des premiers symptômes ?
Le corps médical a mis un mot sur ma maladie à l'age de 16 ans, mais je pense que depuis petite je cultivais dejà des premiers signes. Je ne pourrais pas exactement te dire pourquoi j'ai choisi cette forme de déstruction comme certains se réfugient dans la drogue , l'alcool ...... Il y a un mal-être mais la cause exacte, moi-même, je ne la sais pas. Petit a petit, je me suis réfugiée dans la bulle de ma maladie car c'est ce que je maîtrise le mieux dans ce monde où je ne maîtrise plus rien.
Tu as bien voulu répondre à ma question, quand il s’est agi pour moi de mieux te comprendre et me rapprocher de toi. Tu me parlais de « signaux qui n’arrivaient pas à faire le trajet vers ton mental. Penses-tu que ces signaux sont en toi, mais qu’ils sont coincés « quelque part », inactifs ? Ou bien crois-tu qu’ils manquent à ta personne et que tu es à leur recherche ?
En fait, tous signaux sont niés car le fait de maigrir est plus fort que toute autre sensation; alors je porte un masque, quotidiennement, de jeune fille heureuse, et au total j'arrive a me convaincre moi-même.
Que penses-tu du mouvement pro-ana qui sévit partout, même sur notre groupe (la présence d’une jeune fille nous a toutes les deux choquées ; je n’ai, néanmoins, pas pu la renvoyer, ne connaissant pas son degré de fragilité). Est-ce uniquement un phénomène de mode ? Penses-tu qu’il puisse y avoir des personnes anorexiques qui « rebondissent » sur leur maladie pour s’unir et se sentir vivre à travers un mouvement ?
Je trouve ces personnes totalement effrayantes. Ma démarche est vraiment opposée. Je sais les ravages que l'anorexie fait sur ma vie , comment peut-on sincerement revendiquer ça comme une jouissance! c'est horrifiant!
Quand tu te réveilles, quelles sont tes sensations ? Eprouves-tu une douleur de vivre constante ou bénéficies-tu de quelques moments de répit ?
Comme je t'ai expliqué, je suis dans le déni total de mon état pour moi. Je suis forte et pleine de joie de vivre car, dans mon esprit, je me suis toujours interdit de me plaindre, alors même si ça va pas, ça va toujours !!!
Séverine, quel est (était) ton plat préféré ? Je m’explique : tu as très bien verbalisé tes maux et la façon dont ton apparence primait, prenait le dessus sur le plaisir de manger. Pour autant, éprouves-tu de la nostalgie pour certaines saveurs. Ton cerveau a-t-il tout balayé sur le sujet ?
C'est vraiment terrible car bien sûr je me souviens de ces souvenirs alimentaires. Mais il sont devenuent tabous. Alors, pour combler mon manque, je cuisine pour mes proches comme pour combler mon vide par leurs plaisirs à eux.
Je me suis toujours posé une question : personnellement, quand je saute un repas, je suis faible et malheureuse. Il m’arrive d’être irritable, nerveuse, si mon estomac crie famine et que je suis retenue quelque part. Où ton organisme trouve t-il la force de te faire marcher ?
Moi-même, je ne sais pas... Je pense que depuis toutes ces années la sensation de faim est tellement volontairement oubliée que, justement, cette volonté qui me ronge me fait "zapper" ce qui rappelle l'acte alimentaire et me donne de la force.
Tu es traitée avec une précision d’horlogerie par un entourage médical. Son diagnostic t’affole, t’angoisse, t’alarme. Tu as ajouté contre ton gré la peur à la liste de tes soucis. Cette maladie n’a vraiment que des inconvénients, puisque tu cites toi-même le terme « signal ». Que penses-tu de l’association « signal d’alarme » ?
Je suis sincèrement a l'heure actuelle totalement incapable de prendre conscience de ces signaux d'alarme; je porte cette image de " je vais bien tout va bien !!!" ET moi-même j'y crois !!
Comment gères-tu ta maladie dans ton environnement familial ?
C'est assez complexe , mes parents sont divorcés. Mon père, avec qui j'avais un lien très fusionnel, a refait sa vie avec une personne depuis peu. Cette personne ne tolère absolument pas ma maladie donc il a fait le choix depuis quasiment 2 ans de m'exclure totalement de sa vie...
Ma maman est la personne que j'aime le plus au monde, ma reine, ma vie. Malheureusement, je la fais tant souffrir qu'elle préfère ne pas aborder le sujet de ma maladie car c'est trop difficile pour elle. Alors elle m'écoute, mais ne s'exprime plus .
J'ai une soeur de 15 ans, mais sincèrement on dirait que c'est elle la grande soeur. Elle est toujours là pour calmer mes angoisses. J'ai souvent eu peur d'avoir une mauvaise influence sur elle, mais un jour je lui en ai parlé, et elle m'a clairement dit qu'elle n'irait jamais dans ce genre de dérive car elle voit bien comment je me suis gaché la vie avec mes problèmes de bouffe , comme elle dit si bien !!
Comment puis-je t’aider ? De façon concrète, j’entends.
Le simple fait de m'écouter m'aide tant, être là pour moi, ne pas me juger ...La liste est longue !!! Au delà de ça, j'espère, par ton billet, pouvoir t'aider à entreprendre tous tes projets si mon aide t'est utile.
Là, je sens que tu vas me haïr : n’y a-t-il pas de moyens (comme tu dois connaître sur le bout de tes doigts la liste des aliments peu caloriques) de te trouver un charme irrésistible en ajoutant quelques grammes à ta plastique ?
Comme tu le sais j'ai une vision totalement déformée de moi , l'image que me renvoie le miroir est toujours insatisfaisante pour moi, et donc la prise de poids serait vécue comme un drame personnel.
Séverine, as-tu, dans ton entourage, une amie qui aurait ta maladie ? Si c’est le cas, comment vous entraidez-vous ?
J'évite souvent car personnelement je finis toujours par me comparer à toutes ces jeunes filles et ça devient comme un challenge mental involontaire.
Quand on est anorexique, a-t-on peur de passer « de l’autre côté » (se retrouver boulimique ?) Est-ce une généralité ou bien parle t-on de cas par cas ?
Je pense que c'est totalement exact. Il faut dire qu'une anorexique a un comportement excessif dans ses sentiments comme dans son comportement alimentaire. Donc, forcément, on a peur de lâcher le contrôle et, du fait, de ne plus maîtriser ce qui laisserait place à des pulsions alimentaires.
As-tu un animal de compagnie ? Si oui, peux-tu nous en parler, nous le présenter ? Si non, est-ce un projet?
Là, on touche à ma raison d'être , mon chien Dolmy, un mini Chihuahua. Je l'aime à un point! je ne savais pas qu'on pouvait tant aimer un être autant , il est là il ne me juge pas et m'aime en retour.
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Mille mercis, Séverine, pour ce témoignage émouvant et généreux. Je sens ton besoin, ton envie d'aider les personnes atteintes du même mal. Il ne transpire sur ce billet qu'empathie et don de soi. Pense...à bien penser à toi! Reçois toute mon amitié et ne manque pas de nous donner de tes nouvelles. Tu es une personne Utile, importante. Ne perds pas cela de vue. Tu fais l'objet d'un nouveau billet sur mon blog! Tu es un vrai sujet, une personne sur laquelle on s'attarde. A cet instant, tu es Reine.
Martine
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